vendredi 12 novembre 2010

Ironie

Ceux qui me côtoient au quotidien cette année vous le diront: je suis claquée.
Ce matin, le 12 novembre, je suis impressionnée par la largeur des cernes qui ont élu domicile
sous mes petits yeux bleus. Mon sommeil est soutenu par de petites capsules bleus parce que
le mental choisi de faire du temps supplémentaire, bien malgré moi.

Il y a 11 ans que je suis titulaire d'un groupe au primaire. J'ai enseigné à tous les degrés du primaire.
Je suis entrée sur le marché du travail en même temps que le nouveau programme.
Sentant le besoin de mieux comprendre les fondements de cette fameuse Réforme,
j'ai opté pour de la formation continue, autodidacte et universitaire.
J'ai acheté et lu bien des livres pédagogiques.
Après toutes ces démarches, je pense que je comprends mieux que la Réforme, c'est pas sorcier,
qu'il ne fallait surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
Ce n'était pas vraiment une Réforme....C'était plutôt un ajustement du «focus», passer du contenu à l'élève.

Je suis heureuse de tout ce que j'ai investi comme argent, temps et efforts pour modifier mes pratiques: tout
cela fait de moi la professionnelle que je suis, la personne que je suis. L'investissement que j'y ai consacré a
aussi un côté sombre... Cette année, c'est ce qui me rebondit en pleine face.

Mon frère vient de recevoir, à 33 ans, un diagnostique de fibromyalgie. Selon son médecin, c'est la conséquence d'un stress prolongé, d'heures de sommeil amputées.  Mon frère s'en est demandé beaucoup,
son corps exige maintenant beaucoup. Ça m'a fait réfléchir, je ne veux pas m'y rendre.

Je regarde ma classe, l'énergie qu'il faut que j'y investisse. J'ai consulté ma direction, lui ai dit que j'aurais peut-être besoin d'aide pour compléter les dossiers, pour les boucler avant que mes protégés puissent arriver au secondaire avec «un passeport» en règle. «Je ne veux pas que tu sois seule là-dedans.» a été sa réponse. Réponse appréciée que je souhaite salvatrice.

J'ai pris aussi la peine de discuter avec elle de la démotivation qui s'empare de moi. Du fait que malgré l'importance que je comprends de ce métier, de mon désir de l'exercer du mieux que je le peux, j'ai franchement le goût de baisser les bras.  Je me questionne vraiment sur le fait que 10 ans après l'arrivée
du nouveau programme, je reçoive cette année de la formation sur l'enseignement stratégique et explicite et que ce soit perçu comme étant d'une nouveauté troublante.

Je suis questionnée par le fait que même ma direction me dise : « Tu sais, c'est une grosse machine. Il y a des incontournables avec lesquels tu dois apprendre à vivre. Il te reste 25 ans à faire. Il ne faudrait pas que tu trouves le temps long...» Comme si ce qui est, doit être la réalité.  Comme si on ne pouvait changer les choses. Pour avoir fait les démarches pour obtenir un poste de direction d'établissement scolaire, je comprends très bien que le rôle de nos supérieurs immédiats n'en est pas un décisionnel, mais beaucoup plus
d'applications de ce que la commission scolaire, le misitère leur demande. Mais comme se fait-il que certains milieux acceptent de se déstabiliser, de vivre des projets novateurs pour se rapprocher encore davantage des
besoins d'apprentissage, de motivation et de développement de leurs élèves? Qui a la candeur et les «couilles» de tenter, d'expérimenter? Dans mon milieu, la plupart des enseignants seraient prêts, le leadership toujours changeant et les possibilités pécunières ne nous permettent pas un saut vers l'avant pour l'instant.

J'ai l'impression d'étouffer et me questionne sérieusement sur mon désir de continuer à travailler, machette à la main pour défricher, pour découvrir, pour aller vers l'avant, quand par la suite, on me demande d'attendre, de comprendre que chacun avance à son rythme.

Ce matin, c'est un vendredi où je me dis: «Je dormirais bien jusqu'à midi.» Je n'ai pas particulièrement le goût de gérer les devoirs non-faits, de pousser la machine malgré que mes grands me disent: «On peut pas prendre ça relaxe, c'est vendredi!», de regarder la pile de correction, de choses à préparer pour la semaine prochaine pour différencier mon enseignement, de regarder ce que j'ai à faire pour tous les comités pour lesquels je suis impliquée... Ce matin, mon idéalisme est un peu terni par le peu de sommeil que la correction d'hier soir à laisser sur ma nuit.

Ironie de la vie. Vous savez quoi? J'ouvre ma boîte de courriel et j'y trouve ceci.Un petit courriel d'un ancien élève, d'il y a deux ans, qui est entré dans ma classe avec un dossier dans lequel il était écrit que ses capacités scolaires étaient limitées, que la socialisation était ce que nous devions faire pour lui. Lui et moi avons travaillé fort. Nous avons pris du temps, après l'école, sur l'heure du dîner pour permettre aux images d'apparaître dans sa mémoire de travail. L'an dernier, il a fait une année au secondaire en cheminement d'appoint, pour consolider ses apprentissages du primaire. Mon amie Julie a repris le dossier et a travaillé avec lui aussi fort que nous l'avions fait.

«Salut,

       J'espaire que tu va bien. Tu me manque boucoup.  Je voulais te dire que je suis content de tavoir eu
comme prof. J'ai utiliser les trucs que tu m'a donné et puis cette année, je suis en 2e au régulier. Sa va bien.
J'ai des bonne notes. Merci de m'avoir aidé. comment sa va avec tes nouveau élèves?

                                                                                    Ton ancien élève»

.... .... ....
Bon. Je crois bien que je vais prendre une douche et me rendre dans ma classe.
Mes moineaux ont besoin de moi.

2 commentaires:

  1. Je ne suis pas sûr qu'on serait d'accord sur tout, mais la lecture de tes billets m'a ému. Les «moineaux» sont chanceux d'avoir un adulte comme toi comme prof. En même temps, si on fait notre boulot avec passion et rigueur pour des raisons fort personnelles, il faut apprendre à ne pas s'oublier. Un bon enseignant est un enseignant vivant...

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  2. Merci pour le commentaire. Il me rappelle que l'enseignant lui-même est son premier instrument de travail: sans lui, pas d'enseignement possible. Merci de me le rappeler.

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