mercredi 6 avril 2011

C'est pas parce qu'on est grands qu'on peut pas être petits...

     Comme membre d'une communauté éducative, j'ai un rôle important à jouer dans l'apprentissage que font mes élèves sur la façon d'intéragir entre eux, les bases des relations sociales; comment exprimer un mécontentement, comment exprimer un commentaire constructif, comment toujours «rester dans ses souliers» en parlant de son point de vue et non en accusant.  Je dirais qu'un bon nombre de mes heures est annuellement utilisé à modéliser et à renforcer le développement de mes petits protégés en ce sens.

     Depuis quelque temps, la qualité de vie de mon environnement professionnel est empoisonnée par du 
«mémérage», mais attention, du «mémérage» de haut niveau.  Des regards sournois, des informations incomplètes, des demies vérités, des sous-entendus jamais vérifiés. Personnellement, ça me dérange beaucoup.  Comment se fait-il qu'entre professionnels, on ne soit pas capable tout simplement d'exprimer nos besoins, nos limites sans nécessairement que l'autre y voit matière à récriminations?  Comment se fait-il que des adultes qui répètent mille fois par jour à leurs élèves: « Tu n'es pas d'accord, c'est correct, tu as le droit. Maintenant, exprime-le correctement avec des mots ce qui te déplaît.» se permettent d'entrer dans une classe 5 minutes avant le début des classes pour déverser leur venin, exigeant de l'autre enseignant de garder le contrôle sur ses émotions pour avoir un sourire accueillant pour ses élèves?  Pour moi, il y a dans cela quelque chose d'incompréhensible et d'inintelligible.

       Partout où il y a de l'humain, il y a de l'humainerie, me direz-vous. Vrai.
       Une direction m'a aussi dit que l'enseignement est un métier rempli d'individualistes, un peu insécures qui
       ont parfois peur d'être remis en cause. Je ne sais trop qu'en penser.

       Il y a des moments, comme aujourd'hui, où je me questionne : «Est-ce que si je travaillais dans une entreprise privée, ce commérage serait toléré? Est-ce que les malentendus de «gang» seraient gérés autrement?»  Je comprends que nos directions ont beaucoup de chats administratifs à fouetter et que la gestion des ressources humaines, de par toutes les contraintes que la syndicalisation apporte, peut se faire avec des moyens qui peuvent parfois être «limités». Moi, ce matin, j'aurais eu besoin que quelqu'un mette un pied à terre et la présence de ma direction, en réunion, nous a manquée. Une tempête dans un verre d'eau qui n'aurait simplement eu besoin d'un petit parapluie..mais qui laissera peut-être un froid dans l'équipe. C'est dommage, vraiment dommage.

      «Les adultes sont simplement des enfants qui ont grandis.» Peut-être qu'il ne faut pas que je l'oublie.

lundi 28 février 2011

L'enfer est rempli de bonnes intentions... y paraît.

J'imagine que derrière le message provenant de la direction générale de ma commission scolaire l'intention est bonne. Par contre, depuis que j'ai lu le courriel, j'hésite entre l'envie de pleurer ou de me choquer. C'est que, voyez-vous, on me demande de remettre le nom d'enseignants qui se démarquent par la qualité de leur travail.  J'imagine, puisque je n'ai pas fait de démarches plus approfondies, que c'est une initiative pour offrir un remerciement, un peu d'encouragement au corps professoral.

Faisons tout de suite une gageure; d'après vous, quels enseignants seront mis en nomination? Quels individus se mériteront les applaudissements des grands décideurs...? Malheureusement, ce ne sont pas tous les enseignants engagés qui ont le sens du «marketing».Dans mon entourage, en tous cas,  il y a beaucoup de bons enseigannts sont très actifs dans leur classe, mais aussi très discrets dans le milieu.Vous me trouvez de mauvaise foi?  Peut-être.  Mais il y a quelque chose d'incidieux dans cette initiative me semble-t-il.  Comme une recherche de conscience tranquille.

Je vous épargne tout de suite de mettre mon identité sur cette liste.
Je ne souhaite pas que mon DG me remettre un bout de papier en me demandant de sourire pour la photo.

Je préfèrerai que mon travail soit reconnu par de petits gestes simples:
  • devant un changement imminent, consultez-moi.
  • qu'on me laisse un peu d'espace pour prendre des risques, pour tenter l'innovation.
  • devant les défis de mon groupe, qu'on cherche un partenariat réel, en entendant ma version, ma vision des besoins du groupe avant de m'offrir des outils.
  • qu'on m'accorde un peu plus de budget pour continuer d'obtenir du matériel pour mettre concrètement en place dans ma classe ce que j'apprends, ce que je lis.
  • donnez-moi du temps pour assurer ma formation.
  • premettez-moi de m'associer avec des enseignants qui souhaitent eux aussi faire un pas en avant.
  • que ma direction puisse tout simplement s'informer sur mon vécu, mes défis, mes réussites, mes envies, mes projets...
Il me semble que ces petits gestes m'aiderait à sentir que j'ai ma place dans cette grande organisation, que vous valorisez la place que j'y occupe. Voilà. C'est tout!

En contre partie, je suis d'accord pour dire que beaucoup d'enseignants travaillent dans l'ombre et que cela ne les empêche pas de faire un travail d'un grand professionnalisme. Ils sont rarement remarqués et ils méritent eux aussi qu'on leur signifie que leur travail est apprécié.

Alors...
Si vous êtes comme Émilie, et que dans votre classe les enfants peuvent être des enfants, rire, se surprendre, prendre plaisir à découvrir et que vous arrivez à tirer profit de leur spontanéité, bravo.

Si vous êtes comme Isabelle, que par des projets plus fous les uns que les autres, vous arrivez à garder vos élèves en haleine, assis sur le bout de leur chaise et que vous les voyez désireux de se dépasser, bravo.

Si vous êtes comme Mireille et que le bien-être et le développement global de vos élèves vous passionnent, bravo.

Si vous êtes comme Joëlle et que par votre vigueur, votre rigueur et votre plaisir du bien-fait vous amenez le enfants à développer leur sens des responsabilités, leur maturité et leur autonomie, bravo.

Si vous êtes comme Thérèse, et que comme une fine mouche, en deux mots, un peu d'humour, vous arrivez à calmer même les élèves les plus récalcitrants, bravo.

Si vous êtes comme Lucie, que votre plaisir d'apprendre est tellement contagieux que vos élèves vous surprennent en apportant de la maison, livres, bibelots, jeux, références web pour soutenir vos propos, bravo.

Dans ma commission scolaire comme dans toutes celles du Québec, des bons enseignants il y en a tout plein. La meilleure façon de les remercier à mon avis n'est pas de leur remettre statuette et diplôme honorifique.

Vous pensez que vos enseignants sont d'excellents enseignants?
Laissez-leur donc voir en les traitant comme tel..

vendredi 25 février 2011

J'allume un lampion...

Au cours des deux dernières semaines, j'ai reçu des commentaires ...
euh comment dire... étranges.
L'impression que cela me laisse c'est que l'innovation, la passion ébranle, beaucoup.

J'ai pris le temps d'y réfléchir, de rationnaliser.
J'ai pris le temps d'en discuter avec des personnes qui sont pour moi importantes et dont l'avis compte vraiment. 

J'aurais pu me rebeller. J'aurais pu élèver la voix, mettre mon poing sur la table. 
Je me suis contenté de démontrer qu'un point de vue reste subjectif et que je ne partage pas celui qui m'est énoncé.

Je finis ma semaine avec cette conviction, vraiment ferme:
j'ai ma place dans le milieu de l'enseignement et que JE CHOISIS DE L'OCCUPER, avec tout le professionnalisme dont je suis capable.

Je me dois d'être intègre. Je me le dois. Je le dois à mes élèves.

Alors, voilà mon plan de match: continuer de croire en moi, en mes valeurs, en mes fondements, aux connaissances que j'ai acquises et à l'expertise que je développe tranquillement et continuer mon pélerinage en gardant en tête ce qui sous-tend ma présence en enseignement.

Remarquez bien ces mots: mes amis, ce n'est que le début.
Trop proactive? Trop de connaissances? Trop impliquée?
Mes chers.... Ce ne sont pas là des tares...!
Ces traits de caractère peuvent aussi être des atouts précieux.
Tout ce que je demande, c'est l'espace afin de vous le démontrer.
Pour le reste, je m'en occupe.

dimanche 20 février 2011

Yeux cernés et coeur content...!

             Si vous suivez mes tribulations depuis quelques mois, vous savez que depuis septembre, mon quotidien d'enseignante est fait de défis de taille.  La démotivation, les grands questionnements, la fatigue et avouons-le le découragement ont été mon lot.  J'ai pris le temps qu'il a fallu pour que minimalement «mon body» puisse suivre et tenir la route. Mes élèves m'ont fait vivre des situations que je n'avais jamais vues auparavant.  J'ai été confrontée à des situations me plaçant devant des réflexions  professionnelles éthiques.  Ma patience a été souvent mise à rude épreuve. Il est arrivé que mes collègues passent par ma classe pour me décrire de situations dont elles ont été témoin en me disant : « Je ne sais pas comment tu fais...»
               Mon leitmotiv cette année aura été: «Fais de ton mieux et tente de trouver, ne serait-ce que 2 minutes pour avoir du plaisir avec tes grands.»  Je m'y suis accrochée comme à une bouée de sauvetage. Parfois, je n'arrivais qu'à vivre qu'une petite minute agréable par jour. D'autres journées, je m'arrêtais pendant que les enfants travaillaient pour offrir des sourires et des mots gentils aux élèves les plus discrets. 

                Depuis 5 ans, je reçois des stagiaires. Chaque fois, je leur demande: «Pourquoi l'enseignement?» Puis, après avoir entedu leur réponse, je tente de leur démontrer «qu'aimer» les enfants n'est pas une fondation qui me semble suffisante.  Mon expérience d'enseignante m'a permis de comprendre que ce n'est pas mon travail d'aimer les enfants, mais que mon rôle social, surtout dans le milieu défavorisé dans lequel je travaille, me demande de croire en eux, envers et contre tout. Et bien, mes grands moineaux de cette année m'auront demandé l'intégrité de démontrer que je suis apte à agir tel que je le pense.

                 Jeudi dernier, notre école a organisé une «journée blanche» où les enfants pourraient vivre des activités hivernales sur les flancs de la montagne que nous avons la chance d'avoir tout près.  J'avoue que j'anticipais un peu cette journée.  J'ai visité, le temps de la nuit de mercredi, plusieurs fois dans ma tête le déroulement de ma journée et de tous les moments où mes élèves pourraient possiblement profiter des consignes un peu moins précises.  Je me suis présentée à eux tout sourire jeudi matin, avec une petite pression craintive non loin du plexus solaire. Nous avons revisité les consignes de la journée, préparé notre matériel.  «À la grâce de Dieu!» et nous sommes sortis.

                 Malgré toutes mes appréhensions, tous les réajustements nécessaires pour des raisons de logistique peut-être mal anticipées, mes élèves ont été patients, bon joueurs, collaborateurs.  Ils ont accepté de céder leur place aux plus petits de notre école afin que ceux-ci puissent glisser. Cela impliquait une demi-heure d'attente, qu'ils ont très bien gérée.  Ensuite, à cause du doux temps, nous avons dû «accrocher nos patins». Sans rechigner, ils ont accepté la proposition de jouer au «hockey-bottine» et de jouer dans le grand parc.  Le rangement a été facile, le respect des consignes simple et rapide.  Je suis rentrée chez moi exténuée, surtout parce que j'ai dû, quelque part, cacher la nervosité qui m'habitait.

                 Vendredi matin, en bonne enseignante que je tente d'être, j'ai fait une objectivation avec mes grands de cette journée de plein-air. Quelle ne fût pas ma surprise de voir un élève habituellement discret lever la main pour me dire: «Moi, j'aimerais bien féliciter J. et J. parce qu'ils ont fait quelque chose de bien. Tu sais l'élève de deuxième année qui a un grand problème à un pied? Et bien à un moment donné, il avait vraiment mal, mais il souhaitait glisser encore. Alors, J. et J. lui ont dit de s'asseoir sur son tube et ils l'ont monté, à pieds, en haut de la montagne à quelques reprises pour qu'il puisse avoir du plaisir lui aussi.»

                  Je suis restée bouche bée.  La réaction des autres élèves? Ils ont applaudi.  Mon regard se promenait de J. à J..  J'étais surprise et tellement contente.  Depuis 6 mois, j'essaie de les convaincre qu'ils possèdent eux aussi un p'tit côté givré, que l'agressivité ne fait qu'un peu d'ombre sur tout ce qu'ils possèdent de plus doux.  Et les voilà, tous deux, prendre une telle initiative.  J'avoue. Ils auront réussi à me faire verser une petite larme de fierté. 

                  Oui. Croire en eux, envers et contre tout. C'est le plus beau cadeau que je puisse leur rendre. Et dans ce qui m'a été raconté vendredi, le plus «payant». 

                   Il aura fallu 6 mois pour que nous puissions nous apprivoiser. 6 mois pour qu'un lien réel de confiance se tisse entre nous.  C'est vraiment chouette. Par contre, j'y sens aussi la responsabilité rattachée: ce n'est pas le renard du petit Prince qui dit que nous sommes responsables de ce que nous apprivoisons?

                   Il nous reste 4 mois pour continuer de cheminer. 4 mois où je pourrai encore, j'espère, les regarder s'épanouir.  Je suis bien fière de mes grands moineaux.  Oui, mes yeux sont cernés, mais qu'est-ce que mon coeur est content.

samedi 12 février 2011

Vent de changement...

«I had no choice but to rethink what my teaching was about. Good things did not happen right away. Age-old wisdom tells us that thing of worth take time to achieve. This is especially true when what we seek need a change in perception.»   

«We belong to schooling traditions more than they belong to us»
   
Ralph Peterson

        Ces deux phrases se sont méritées un p'tit coup de surligneur quelque part hier soir.  Elles auront eu le mértie de me faire prendre une pause et de me dire : «Et moi, qu'est-ce que j'en pense?»

              Cette semaine, suite à une discussion animée sur la convention de gestion de notre école et sur notre plan de suivi, je suis rentrée chez moi perplexe.  Je suis demandé si la différenciation des approches de développement professionnel pourrait être possible et réalisable dans notre école.  Dans nos classe, on tente d'offrir un environnement stimulant et des moyens adaptés afin que chacun puisse progresser jusqu'au maximum de son potentiel. Serait-il possible de faire la même chose avec les profs?   Peut-on s'arrêter aux besoins des enseignants et leur offrir des moyens adéquats pour soutenir leur développement professionnel?   Certains n'ont besoin qu'on ne leur offre que du temps et que d'un budget. Ils sauront s'offrir les formations, les références, le temps pour discuter, fabriquer, expérimenter et partager leur vécu.  D'autres préfèrent qu'on leur présente les concepts à développer, qu'on leur offre les outils et qu'on les soutienne dans les modifications à apporter.  Les uns ne sont pas nécessairement meilleurs que les autres, mais les uns pourraient peut-être devenir un moteur stimulant, inspirant pour les autres.  Les uns pourraient satisfaire leur besoin de découverte et les autres, leur besoin de sécurité.

          Je pense, et c'est mon avis personnel, qu'il est un grand leurre de mettre tous les membres d'une équipe-école dans le même bateau, de procéder de la même façon avec tous, d'avoir des attentes communes pour tous.

           La mode dans ma commission scolaire est à l'échange de pratiques entre les enseignants. On se tape dans les mains en se disant que tous travaillent les stratégies de lecture parce que chaque enseignant a parlé de ce qu'il fait dans sa classe.  Mais qui va vraiment voir ce qui se passe dans la classe, dans les planifications pour s'assurer que l'enseignant a bien compris, qu'il y a réinvestissement et apprentissage chez les élèves?  C'est n'est pas parce que je te dis que j'ai lavé la vaisselle qu'elle est bien lavée... Tremper simplement les couverts dans l'eau savonneuse ne permettra pas au fromage de la lasagne de se décoller et d'assurer au prochain utilisateur de pouvoir manger sans germe...

              Je trouve qu'à certains moments en enseignement, on tombe facilement dans la pensée magique.  On a tendance à s'accrocher à des courants pédagogiques, à des modes de gestion en pensant que cela permettra maintenant d'apprendre de façon efficace. Je ne pense pas que c'est parce qu'un prof applique à la lettre les principes des 5 au quotidien que ses élèves sont de meilleurs lecteurs. Ce n'est pas seulement en permettant aux élèves de lire deux à deux, d'écouter des hitsoires qu'on leur lit et de travailler les mots de vocabulaire avec des mots croisés qu'ils deviendront automatiquement bons lecteurs et bons scripteurs...  Ce serait oublier tout l'apport important et précieux de la réflexion et de la médiation de l'enseignant dans les apprentissages de ses élèves. L'intention pédagogique doit absolument avoir l'attention première dans les actions des enseignants, me semble-t-il, avant même les considérations de gestion de classe.

              La profession de l'enseignement est complexe et exigeante. Voilà pourquoi pour moi il s'agit là d'un art.  Tous les acteurs de nos milieux de travail ne peuvent être mis dans les mêmes conditions. Sans vouloir dénigrer personne, il est utopique de s'attendre à ce que quelqu'un qui est confortable dans un rôle d'exécutant  maximise ses capacités d'analyse réflexive.  Certaines personnes ont besoin de plus de soutien, de personnes et d'outils sécurisants et il en est bien ainsi. Mais de grâce, ce fait ne doit pas nous amener à restreindre les possibilités des autres sous prétexte qu'on ne peut aller plus vite que l'équipe.  Si toute chaîne est aussi forte que son plus faible maillon, est-ce que c'est accepter qu'inévitablement que le maillon faible détermine, à jamais la condition de la chaîne? Et si on soutenait le maillon plus faible? Si on le renforçait? Si on le soutenait par une soudure ou en le plaçant différemment? Je pense bien sincèrement qu'il pourrait s'agir là d'un moyen efficace de permettre à la chaîne de continuer à jouer son rôle, tout en tenant compte de la spécifité du maillon plus «faible». 

        Je ne sais si cette réflexion est valable. Mais quand j'entends certaines de mes collègues discuter de leurs envies, de leurs désirs, de leurs questionnements, je nous souhaite sincèrement que cet enthousiasme trouve une place afin de se déployer, au profit de nos élèves.             
                  

dimanche 2 janvier 2011

Résolutions pour 2011

Je l'ai souvent écrit, mais c'est ma réalité.
Il y a maintenant 10 ans que je partage mon quotidien avec des écoliers.
Le tiers de ma carrière est fait.
Quel constat j'en retire?
Qu'est-ce que cela m'amène comme réflexion?
Comment cela me permet d'anticiper les prochaines années?

Depuis 10 ans, la milieu de l'éducation a beaucoup changé.
Je suis entrée sur le marché du travail avec la Réforme.
Cela trace une toile de fond non négligeable et cela
aura pu avoir une incidence réelle sur mon vécu professionnel.

Il me semble que depuis 10 ans, mon travail se définit par beaucoup
de «nébuleux». Il aura fallu 2 ans à ma commission scolaire pour me
fournir une définition de ce qu'est une compétence.
Il aura fallu 10 ans avant qu'on se penche sur l'évaluation.
Et encore, dans certaines de classes que je côtoie, la pédagogie
du projet, dans sa version la plus pure, est identifiée comme étant
l'assise de ce qui sous-tend le programme de formation.
Permettez-moi d'être un peu lasse de cette situation.
J'en ai bien discuté avec les personnes directement concernées
dans mon milieu et à la CS. Quelle est la réponse qu'on m'offre
indubitablement? «Il faut respecter le rythme de chacun. On ne peut
aller plus vite que les capacités d'apprentissage et d'appropriation des
enseignants en poste.» Cette réponse me donne littéralement de l'urticaire.
On est en train de me dire que «le système», en acceptant ce précepte,
accepte de se mettre au rythme des enseignants les plus réticents,
et disons-nous les vraies choses, les moins investis avec le résultat
d'éteindre ceux qui ont un peu d'initiative.  J'ai déjà discuté avec direction
du fait que les besoins des situations de nos classes, on cherche à différencier
pour que chacun puisse trouver la stimulation nécessaire afin de déployer son
plein potentiel, pourquoi ne pourrait-il pas en être ainsi avec les enseignants?
Pourquoi ne pas réfléchir à un système permettant à des enseignants
volontaires, engagés, passionnés, d'explorer, de se former, de créer du matériel,
de s'associer avec les CP et même avec d'autres enseignants du Québec qui
ont les mêmes préoccupations, pour faire un pas en avant.  J'ai simplement
proposé que dans mon quartier, on puisse se regrouper, les profs du 3e cycle
pour faire des cercles de lecturesur certains ouvrages pédagogiques et on m'a
dit que cela me serait reproché parce que cela relavait du travail des CP.

En ce début de 2011, je me souhaite que la petite flamme,
celle qui m'amène à réfléchir sur la teneur des actions pédagogiques,
celle qui m'amène à vouloir être aussi professionnelles que possible,
reste présente et aussi ferme que possible dans les circonstances.

Depuis 10 ans, j'ai aussi appris ce qu'être syndiquée signifie.
J'apprécie les conditions de travail; congé,salaire, fonds de retraite..
Il y a toujours place à l'amélioration, mais pour l'instant, cela correspond
à mes besoins.

J'ai aussi réalisé que le fait que notre profession donne accès à une permanence
est un drôle de cadeau.  Je n'ai jamais travaillé dans un milieu privé et peut-être
que ma perception est erronée, mais je pense que lorsque ton travail n'est pas
garanti à moins d'une faute professionnelle grave, l'employé fait à la fois partie
des problèmes et des solutions de l'entreprise. Et si l'employeur malgré des
moyens mis en place, s'aperçoit que l'employé refuse de faire partie des solutions,
on le remercie de ses services.

En 10 ans, j'ai vu des profs tenir des propos inappropriés sur d'autres collègues.
Des propos qui tuent, qui ne permettent pas de véritables communications.

En 10 ans, j'ai côtoyé un collègue grandement reconnu dans le monde
de l'éducation qui enfermait certains enfants dans leur casier en s'appuyant
sur la porte quand il les trouvait trop agités, ou qui les assoyait SUR les casiers
en leur disant qu'il tiendrait compte d'eux quand ils seraient prêts à travailler.
J'ai bien parlé de mes observations et de mes craintes à ma direction de l'époque
qui m'a répondu: « C'est un passionné, tu dois comprendre.»

En 10 ans, j'ai entendu, vu et dû travailler avec le fait que certains enseignants
confondent les enfants en erreur dans leur enseignement et que malgré le fait
que je sois en bout de piste du 3e cycle primaire, il faut que je reprenne des
notions de base comme « la soustraction avec emprunt» parce que le système
de numération n'est pas acquis. Grrrrrrrrrrrrrrrr.

En 10 ans, j'ai vu des profs avoir des interventions désabusées, pas très
pédagogiques avec des élèves. «Tu n'as pas mal au poignet, tu as mal à l'orgueil.»
et le lendemain l'enfant venant me voir avec son crayon en me disant:
«Signerais-tu mon plâtre?»

Pour 2011, je me souhaite d'avoir l'intégrité de reconnaître les
situations dans lesquelles mes valeurs ne sont pas respectées et 
de les remettre à qui de droit.  Je me souhaite de continuer d'exiger
de moi un grand professionnalisme, de toujours garder en tête le
mandat ÉDUCATIF de mon travail.

En 10 ans, j'ai aussi croisé des enseignants allumés, inspirants, professionnels,
dévoués et rarement reconnus. J'ai pu tenir avec eux de grandes discussions
pédagogiques qui m'ont poussée vers l'avant, vers une plus grande rigueur,
vers l'innovation en ayant toujours le meilleur intérêt des enfants au coeur
de nos préoccuaptions.

Pour 2011, je me souhaite de reconnaître, de trouver, de chérir ces
relations professionnelles qui font de moi une meilleure personne,
une meilleure enseignante. Je me souhaite aussi de prendre le temps
de remettre à ces enseignants toute l'admiration que j'aie pour eux,
pour leur magnifique travail, pour ce qu'ils apportent à ce grand métier.

Mais surtout, pour 2011, je me souhaite l'intégrité de reconnaître
si ma place est toujours en enseignement, si je suis toujours aussi
et suffisamment amoureuse de cette profession pour faire fi de ses
grandes limites et des irritants qui y sont inhérents. 

Et  à vous tous, je vous souhaite que 2011 soit remplie du plaisir de découvrir
avec vos élèves, du plaisir d'expérimenter. Je vous souhaite une communauté
pédagogique stimulante, qui vous aidera à faire un pas, qui saura alimenter
vos réflexions et vos développements pédagogiques.

Merci de me lire et merci pour les rétroactions et les commentaires que vous
joignez à mes réflexions. Vous êtes des agents précieux de mon développement
professionel. 

Bonne année 2011!

dimanche 19 décembre 2010

Maudit bordel!

Je travaille cette année avec un grand gaillard qui porte un sac à dos
émotif vraiment plein.  Il a une histoire familiale un peu mêlée, un parent qui
ne voit que  lorsqu'il décide qu'il a le temps et le goût de le faire et un petit
 frère «on the way». Des difficultés scolaires viennent couronner le tout.
Personne n'est étonné que son estime personnelle et sa perception de
ses capacités scolaires soient cachées sous le plancher.

Quand il atteint son «trop plein», ses poings montent à la hauteur de son visage et
les coups pleuvent sur peu importe qui se trouve tout près.

Dans la classe, au cours des dernières semaines, après qu'on ait mis un système de
«soupapes» avec lui, j'ai vu apparaître sur son visage, de petits sourires, un
minimum de contentement. J'étais contente. Je me disais qu'il était maintenant
temps de lui démontrer, de lui faire prendre conscience de tout ce qu'il réussit à
faire et de tenter de l'en convaincre. Nous avons eu quelques moments de fou rires,
quelques confidences... J'ai même entendu de sa bouche : «Est-ce que tu pourrais
me réexpliquer pendant la récré» à deux reprises!

Hier matin, je me suis rendue au cinéma pour aller voir une comédie.
J'ai profité du temps clément, je m'y suis rendue à pieds, Ariane Moffatt
dans les oreilles. Je voulais goûter à ce petit samedi tranquille.

Dans la file à l'entrée du cinéma se tenait mon grand fafouin avec sa grand-mère.
Je me suis empressée de lui faire un clin d'oeil et un sourire. Il  a baissé la tête.
Il s'est mis à pleurer. J'ai été vraiment touchée. Ce grand garçon est d'ordinaire fier
et orgueilleux. Ce qui lui arrive doit être grave, sa réaction est inattendue.
Il avançait au rythme des gens qui étaient devant lui, yeux fixés sur le plancher.
J'ai acheté mon billet, soucieuse et un peu perturbée par son état.

Le voyant au comptoir à confiseries, je me suis approchée de lui.
«Ça va? J'peux t'aider?»

« Ça va pas ben pantoute. Je suis ici pour me changer les idées.
  Il y a à peu près 30 minutes, j'ai appris que mon père venait de se faire tirer.»

«Est-il correct? Et toi, comment te sens-tu?»

«Il est à l'hôpital.  Ma mère ne me l'a pas dit tout de suite. Je suis vraiment fâché.»

Le voyant pleurer à chaudes larmes, j'avais vraiment envie de le prendre
par les épaules et lui démontrer ma sympathie, mais ce n'est pas quelque chose
qu'on fait à un gaillard de sa tremps, surtout en public.

«Qu'est-ce que tu t'en vas voir?»

«Ma grand-mère a choisi Narnia. Au fond, j'm'en c****.
  J'voulais juste pas être à la même place que ma mère.»

Je n'ai pu faire autrement, je l'ai félicité. Je lui ai dit que j'étais vraiment
contente que ses poings n'aient pas été utilisés depuis qu'il a appris la nouvelle.
Je l'ai félicité d'accepter de pleurer. C'est pas facile à faire. Il faut beaucoup de courage.

«Est-ce que je peux faire quelque chose ...»

« Te dépêcher. Je pense que tu vas manquer le début de ton film.»
En finissant sa phrase, un petit rictus s'est dessiné sur son visage.
J'ai souri.  Je lui ai tendu mon billet de cinéma sur lequel j'ai inscrit mon courriel.
«Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas.  Je peux te lire et t'écouter..»
Il a mis le papier dans sa poche et s'est acheté pour 15$ de bouffe.
Je n'ai pu faire autrement que le regarder de loin, les mains pleines,
le visage mouillé, suivre sans trop de conviction l'adulte qui l'accompagnait.

Je me suis rendue dans la salle où mon film était projeté et effectivement,
j'avais manqué les premières minutes. J'étais bien contente d'entrer dans le noir:
maintenant, c'est moi qui avait le visage bouffi, les yeux rouges et les joues humides. 

Je trouve ça tellement injuste: il n'a que 12 ans et il a une vie tellement plus difficile
que la mienne ne l'aura jamais été... Bien que matériellement il ne manque de rien,
il se sent comme une fourmi dans un monde de géants attendant nerveusement
la prochaine épreuve qui pourrait peut-être l'écraser définitivement.
Chaque fois qu'il entre à l'école, je me dis: « La choses la plus importante
aujourd'hui, c'est qu'il se sente en sécurité dans la classe, qu'il sente qu'il a sa place
et qu'il a le droit de se tromper, de recommencer et que malgré tout, qu'il peut être
lui-même dans tout cela.»

Je ne peux pas croire que mon fafouin devra négocier avec cette tragédie,
et ce, à quelques jours de Noël. Je suis fâchée contre les événements.
Après 4 mois de «danse», à faire deux pas en avant pour un en arrière,
après avoir eu la chance de vivre quelques moments plus calmes,
plus agréables, le voilà reculé de combien de pas? Je me sens impuissante,
j'aimerais lui permettre un petit répit, un moment où rien de plus ne pourrait
s'ajouter à son malheur. Malheureusement, je ne peux faire plus. C'est une
des limites de mon métier qui me fait damner... Rien ne justifie la misère
des enfants avec qui je travaille. RIEN.

J'ai bien hâte de lui voir la binette demain matin.
J'espère que ses poings seront restés dans ses poches et qu'il se sera donné le droit
de pleurer un bon coup. J'espère aussi qu'il aura trouvé un moyen, des infos
qui le rassureront, un tant soit peu.

Enseigner, c'est travailler avec des humains, qui vivent des situations humaines
qui les dépassent parfois et qui les rendent indisponibles à la structure scolaire,
aux programmes et aux exigences ministérielles.
 
Je ne peux m'empêcher d'avoir un peu d'admiration pour ce petit.
Je serais la première à courber l'échine devant cette épreuve supplémentaire.
C'est un grand gaillard devra encore s'acclimater à un maudit bordel.
Je vous le dis, c'est un grand héro. Tout de suite, maintenant
plus grand que moi en tous cas.